Fêtes 1978 : Blanc et Rouge ? Ca ne prendra jamais !

En cet été 1978 un doux vent d’Ouest nous apporte les effluves iodées de l’océan tout proche, a celles-ci se mêlent les fragrances des fruits rouges qui envahissent le carreau des halles centrales.

Ces parfums ravivent ce souvenir empreint de nostalgie de la clôture des dernières Fêtes, mais il s’efface subitement car nous y sommes ! Plus qu’une semaine avant l’Ouverture…

La semaine des fins stratèges

Nous entrons dans la fameuse semaine dite « stratégique » pour tous ceux qui se sont vus leur congés refusés, il ne reste plus que 7 jours pour trouver l’excuse la plus imparable pour ne pas travailler pendant la fameuse période de réjouissances, et ce n’est pas une mince affaire.

Il est en effet totalement exclu de passer ne serait-ce qu’une heure au travail durant cette période sacrée, tous y font un point d’honneur, d’autant que cette année il n’y aura pas de Fêtes du Petit Bayonne, l’amicale du quartier n’ayant pu récolter suffisamment de cotisations.

De fait, chacun rivalise d’imagination, même si année après année, l’exercice se complique.

  • Il y a ceux qui consultent dans l’espoir que le médecin leur trouve un petit quelque chose susceptible de leur valoir un arrêt de travail d’au moins 6 jours, et certains y parviennent comme l’un de mes amis, qui du haut de ses 14 de tension et d’un exercice de dramaturgie inégalé, a tout de même arraché un maigre 3 jours.
  • Il y a ceux qui n’hésitent pas à dormir avec des peaux d’oranges dans les chaussettes, dans l’espoir secret que cela provoque une fièvre susceptible de donner le change au docteur. Sand doute une bonne vieille recette de ceux qui ont fait l’armée.
  • Ceux qui attendent le dernier moment pour annoncer à leur patron le décès subit d’une tante à l’autre bout du pays, qui les force à s’éclipser en urgence.
  • Et en bout de course, ceux qui ont déjà épuisé toute le spectre d’excuses dites imparables, et qui, en désespoir de cause, arguent qu’en raison du bruit généré par les festivités, ils passeraient de si mauvaises nuits, qu’ils ne seraient pas capable d’assurer leur tâche dans les meilleures conditions…

Bien entendu les patrons sont loin d’être dupes, d’autant qu’ils ont pour la plupart déjà pratiqué le même exercice autrefois avec leurs propres employeurs, c’est dire.

« Jour J »

C’est l’effervescence, les Fêtes tant attendues débutent tout à l’heure, les bayonnais sont rayonnants, et dégagent inconsciemment une gaité et un enthousiasme communicatifs qui se répandent d’un quartier à l’autre.

Il est temps de revêtir la tenue adéquate, le fameux T-shirt marin et le pantalon de bleu de travail retroussé comme il se doit jusqu’aux genoux, le tout agrémenté des non moins indispensables foulards, bérets et ceintures rouges.

Il ne manque plus que les sandales noires qui complètent avantageusement l’ensemble.

21h00

Habitant rue Bourgneuf, il me suffit de descendre un étage pour retrouver ma bande de copains, Alain, Roger, Roland, Jean-Marie, José… c’est parti ! Direction la Mairie !

Nous ne pouvons nous l’expliquer, mais nous avons le sentiment d’être comme transportés par la promesse imminente d’une nouvelle et importante étape de notre vie, rien que ça.

Nous traversons le Pont Mayou, en ce 400ème anniversaire du détournement de l’Adour, ses eaux apaisées accueillent celles de la Nive et apportent une note de quiétude en total contraste avec le vacarme tonitruant qui les borde.

22h00

22h00 Tous les copains sont là ! Ceux de Saint Esprit, ceux du Grand Bayonne et bien entendu l’avant-garde du Petit Bayonne qui ne saurait marquer le moindre retard.

La foule se renforce, les regards sont dirigés vers le balcon de la Mairie d’où vont bientôt être jetées les 3 clés symbolisant l’ouverture des fêtes pour les 3 quartiers.

Ca y est ! Christian Belascain, rugbyman international bayonnais, qui est notre invité d’honneur se présente au balcon de la mairie !

Durant les brèves allocutions de Christian et d’Henry Grenet quelque sifflets sporadiques dus à l’impatience se font entendre, puis c’est le moment tant attendu, les 3 clés sont jetées par Christian !

Là les sifflets font place au chants traditionnels, les multiples bandas enchainent suivies par les quelques 150 txistularis qui organisent un alarde impressionnant.

Nous mettons nos foulards.

L’ambiance est à son comble, cette édition nous parait des plus prometteuses, nous sommes tout simplement heureux !

La place de la Liberté (la bien nommée) commence à se désemplir, de nombreux festayres s’éparpillent en suivant les nombreuses bandas dans les rues et quais adjacents.

D’autres restent sur place puisque le bal va débuter dans quelques minutes.

Les cafetiers sont sur le pied de guerre, ils savent ce qui les attend et ils s’y sont préparés à merveille, des cohortes de camions les ont ravitaillés toute la journée, et il en sera de même pour les cinq jours qui viennent.

Ci et là, les premières chansons traditionnelles des Fêtes se font entendre, et nous ne sommes pas les derniers à les entonner, notre catalogue est bien fourni avec notamment Oi Gu Hemen, Bébert, C’est à baba…, Yo Te Dare, Les vielles chouettes, A Caracas au marché de la place… pour ne citer que celles-là.

La liesse est générale, et tout particulièrement dans le Petit Bayonne et autour des Halles, les bars sont bondés, les bandas s’en donnent à cœur joie !

A chaque coin de rue, les grosses caisses résonnent en nous, donnant l’impression que la Fête, notre Fête, est immense, totale et infinie… Nous avons le sentiment qu’elle durera toujours…

Les rencontres

Les jours qui suivent sont marqués par de belles rencontres au fil de nos déambulations, qu’il s’agisse de copains que l’on a plaisir à trouver ici, de vieilles connaissances ou même de parfait(es) inconnu(es), chaque rencontre motive un détour par le bar le plus proche, et là pas besoin de GPS.

Et puis il y a les indéboulonnables, comme par exemple le « furtif » au discours pudique qui nous dit venir faire « un petit tour aux Fêtes » et que l’on retrouvera à 4h du matin assis sur un trottoir chantant « Boga-Boga ».

Il y a aussi le fanfaron qui compte bien faire les 5 jours et 5 nuits sans rentrer chez lui, mais que l’on ne verra plus dès le 2ème jour…

Sans oublier le fameux agoraphobe avant l’heure, qui dit n’avoir jamais pu supporter la foule, mais qui dès le premier soir, jouera des coudes au comptoir de Pierrot Cacareigt..

L’heure de la traditionnelle sangria de Mamie

Vers 19h, avec les copains, nous allons chez ma grand-mère qui nous a préparé pour l’occasion une bassine de délicieuse sangria maison, bien entendu la teneur en alcool frôle celle d’une limonade, mais sa délicate attention restera l’un de ces moments inoubliables que l’on n’oublie pas.

Tous les matins, nous retrouvons aussi notre facteur du quartier, personnage pour le moins haut en couleurs, pour qui les Fêtes ne changent rien à sa consommation standard de rosé limé.

Lors des Fêtes, il est 11h lorsque du haut de ses 125kgs, il assure le clou de sa tournée, c’est carrément à genoux au milieu de la rue, les bras au ciel et la sacoche en bandoulière qu’il entonne son titre favori à savoir « … Ah Léon, Léon, Léon, Roi de Bayonne… » 

Au fil des jours, nous croisons ci et là quelques festayres en blanc et rouge, j’avoue que cela me surprend quelque peu. Alain me dit que c’est une idée d’André Béhoteguy qui aimerait que désormais tout le monde s’habille comme ça pour les Fêtes.

Quelle idée saugrenue, cela ne prendra jamais !

Le Bayonnais est taquin…

En cette année 1978, le périmètre des Fêtes n’est pas bouclé, et les rues restent ouvertes à la circulation, de jour comme… de nuit…

Les Bayonnais les plus optimistes (ou les plus hardis) n’hésitent pas une seconde à se garer pour la nuit, rue Bourgneuf, rue Pannecau ou le long des quais par exemple, tout comme ils le font le reste de l’année.

Mais… dès le lendemain matin, ils prennent conscience du préjudice en retrouvant leur « Ami 6 » ou leur « Renault 12 », non pas dégradée, car ce n’est pas dans les mœurs de l’époque, mais plutôt émanant de fortes effluves de gros rouge qui tâche, voire pire, de fragrances de chipiron ayant mal vieilli dans leur pot d’échappement, surtout par forte chaleur.

Tous les festayres alentour s’amusent de les voir piquer une rage folle, mais qui n’est rien à côté de la réaction de leurs dames qui s’étant mises sur leur « 31 » pour faire leurs courses au supermarché, se voient contraintes de monter dans un véhicule aux odeurs de chalutier !

Du grand spectacle !

Quoi que l’on puisse en penser, ces derniers sont loin d’être les principales « victimes » de ces taquineries bien Bayonnaises.

En effet, il est une autre catégorie dont certains représentants arrivent à vivre de grands moments de solitude, tout en se trouvant au milieu de la foule de Festayres, un paradoxe me direz-vous ? Pas vraiment, jugez plutôt…

Le « Touriste » innocent qui vient de se faire des centaines de kilomètres sous un soleil de plomb, sans clim ni GPS, et qui, pour faire bonne mesure s’est pris quelques bouchons, à une époque où les autoroutes ne sont pas légion.

Au volant de sa rutilante « 404 Peugeot » tractant une énorme caravane flambant neuve, ayant chaussé de superbes lunettes noires, coiffé de son « Bob jaune » sans doute récupéré lors du Tour de France, sans oublier le short et le Marcel, l’ensemble constituant l’archétype du conquistador aoutien d’alors.

Il a pour (mauvaise) habitude d’arriver par le Pont St Esprit, puis une fois Place du Réduit, deux options s’offrent à lui, celle de poursuivre vers le Théâtre pour ensuite longer l’Adour, ce qui représente l’itinéraire le moins « risqué », soit tourner à gauche, pour s’engouffrer dans le Petit Bayonne… et là les choses se compliquent subitement…

Roulant au pas, au milieu de la foule, se faufilant entre les comptoirs extérieurs des bars, faisant preuve d’une patience absolue lorsqu’un Festayre à genoux au milieu de la rue s’octroie un petit coup de chahakoa, notre touriste au volant de son attelage d’une dizaine de mètres, entre sans le savoir dans l’équivalent du Labyrinthe du Minotaure, ce qui va très vite lui faire regretter les doux bouchons du trajet.

Même s’il dispose d’un sens de l’orientation affûté, il se retrouve très rapidement au cœur d’un tourbillon qu’il ne contrôle pas, et c’est généralement à ce stade qu’en désespoir de cause, sa co-pilote d’épouse déploie frénétiquement ses cartes Michelin, dans le secret espoir qu’elles lui apportent l’illumination…

Cela ressemble fortement à ce que l’on appelle aujourd’hui un « Escape Game »

Ayant perdu tout espoir de s’en sortir seul, notre touriste se décide enfin à demander sa route…

Et nous n’attendons que ça, car pour les Festayres, le « challenge » le plus prisé consiste à renseigner nos chers touristes égarés, en prenant bien soin de les faire tourner le plus longtemps possible en plein cœur des Fêtes.

Il n’est donc pas rare de voir passer et repasser une énorme caravane tractée par un « Bob jaune », de la rue Pannecau, à la rue Poissonnerie, à la rue Pontrique etc…

Le spectacle atteint son paroxysme lors du passage des ponts, le touriste ravi d’avoir enfin une vue plus dégagée, et nous de parier sur le pont de son prochain passage.

La solution ? Le commissariat est installé rue Jacques Laffitte, il suffit à notre cher touriste d’aller s’y renseigner, c’est très juste… à ceci près qu’il lui faut d’abord le trouver, et même s’il y parvient, il n’est pas sûr d’être mieux renseigné car… certains policiers se prêtent malicieusement au jeu, si, si, j’en connais.

Mais les meilleurs sont quand même les « Bob jaunes » arrivant de nuit…

Des spectateurs parfois (très) actifs

Seuls quelques riverains accrochés à leur balcon subissent d’un air dépité la quantité discontinue des décibels ambiants, semblent peu goûter cette fameuse période de 6 jours, ou ils se jurent chaque année que l’année prochaine on ne les y prendra plus.

D’autres sont plus « subtils », accoudés à leur fenêtre, ils tentent de repérer le fils ou la fille de tel ou tel qui aurait un comportement disons inapproprié à leurs yeux.

Bien entendu le rapport sera fait dès le lendemain sous la forme d’un traditionnel « J’ai vu ton fils hier… hébé… je préfère ne rien dire parce que je ne veux pas me fâcher… », avant de s’éclipser, laissant son interlocuteur rongé par la suspicion et imaginant le pire…

Et les vaches dans tout ça ?

Il est 12h15, nous sommes postés à l’angle du quai Galuperie et de la rue des Tonneliers, l’encierro a quelques minutes de retard, mais les voilà !

Les vaches déboulent sur le quai, l’œil vif et le sabot léger, elles cheminent au trot, les téméraires dont nous sommes les précèdent, non sans jeter un coup d’œil furtif sur nos arrières.

Nous voici rue Pontrique, nous tournons prestement rue du Trinquet pour entamer la dernière ligne droite vers la place Saint André, mais là les choses s’emballent, les vaches aussi, elles sont visiblement plus pressées que nous d’en finir !

Effet immédiat, nous voilà tous tels des berniques collés aux murs, priant pour qu’une des belles qui nous rasent à grande vitesse n’ait pas l’idée de nous jouer un tour, ou plus précisément de nous en faire faire un grand !

Les voici arrivées dans l’arène improvisée et tous les Festayres s’égayent sur leur chemin.

Photo Daniel Velez (Photographe)

Une évasion finalement peu exceptionnelle

Plus tard dans l’après-midi, arrivant place du Réduit nous voyons l’une d’entre-elles qui arrive comme un TGV et s’engage sur le Pont Saint Esprit, elle s’est échappée !

À notre tour de lui courir derrière, tout va très vite, j’en perd mon béret !

Arrivés côté Saint Esprit, elle traverse la place, se dirige tout droit et s’engouffre rue de la Cabotte avant de grimper prestement les marches qui la mènent jusqu’au Rail Bayonnais, ou elles sera enfin appréhendée.

Quel épisode, une vraie « Bayonnade »

Photo Daniel Velez (Photographe)

La collation de rois de Bayonne

De retour sur le carreau des Halles, nous allons déguster l’un de nos mets favoris, j’ai nommé le succulent sandwich à l’omette aux piments du pays, tenant compte que selon la norme en vigueur, sa taille minimale est d’une demi baguette souvent encore chaude…

Il n’y a pas d’heure pour le déguster, une fois les bars fermés plus ou moins aux horaires légaux, d’autres ouvrent, comme autour des Halles, et quasiment tous font l’effort de nous préparer à la demande cette « petite » collation, un vrai bonheur.    

Omelette piments

Nous sommes déjà lundi, nous n’avons pas vu les jours et les nuits passer, ce soir la cérémonie de clôture va nous renvoyer à notre mélancolie.

La douce brise d’été est toujours là, mais elle ressemble déjà à un souffle automnal répandant une multitude de feuilles dans nos rues Bayonnaises…

Nous aurons mangé, bu, chanté, ri, fait des rencontres, joué, couru devant et derrière les vaches, fait des blagues, bref nous aurons été Bayonnais comme nos anciens et nous l’avons toujours été dans l’âme.

Il est désormais temps de préparer la semaine stratégique de l’été prochain…  

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